Cette semaine un coach m’a partagé : « Une saison c’est long », une phrase que j’entends bien évidemment très régulièrement. Bah oui. Parce que … une saison c’est long ! Il s’en passe des choses dans une saison ! Elle s’étire sur des mois, remplie de succès, d’échecs,...
Articles récents
Interoception, émotions et performance collective : quand le corps « coache » aussi
J’ai lu récemment un article de presse dont le sous-titre était : « Le coaching par les mots ». Cela m’a questionnée : et qu’en est-il de tout le reste ? Ce que le coach dit compte évidemment. Mais ce qu’il montre, inspire, ou incarne au quotidien peut être tout aussi...
« I thought I’d be uncomfortable. Turns out, it was exactly what I needed »
Cette semaine j’ai envie de partager le retour des entraineurs avec lesquels j’ai/je travaille. Je mesure à quel point être entraîneur d’une équipe et se poser des questions sur sa pratique (questionner ses certitudes, ses choix, son style, ses échecs) n’est pas...
L’auto-dérision, indicateur du mental
Vous n’arrivez plus à vous moquer de vous-même ? C’est peut-être que vous ne parvenez plus à prendre de recul sur les évènements.
Dans le quotidien d’un coach, les émotions fortes sont omniprésentes : pression des résultats, vie du groupe, rythme soutenu, tensions, aléas de la saison, conflits, … Quand tout s’enchaîne, quand la tension s’installe, il arrive que l’humour disparaisse sans vraiment s’en rendre compte.
Ne plus parvenir à rire de soi, est souvent le signe qu’on n’a plus assez d’espace mental pour prendre de la hauteur. L’auto-dérision est un excellent baromètre psychologique : quand elle s’efface, c’est que la charge interne est trop forte.
Dans les équipes sportives, l’humour est un ciment social : il crée du lien, il allège les tensions, et favorise la confiance. Mais il joue aussi un rôle + discret, dont on n’a pas forcément conscience : l’auto-dérision témoigne de la capacité à prendre de la hauteur par rapport à ce que l’on vit, à reconnaître ses limites sans s’y enfermer.
En psychologie on parle de flexibilité cognitive et émotionnelle, cette aptitude à se détacher momentanément de ses pensées et de ses émotions pour les observer avec un peu de distance.
Lorsqu’on est fatigué, stressé, saturé, cette flexibilité diminue. Tout peut alors devenir + personnel, + lourd, + urgent. Et notre capacité à rire de nous-même peut alors disparaitre, signe que nous ne prenons plus de recul sur ce que nous vivons.
Rire de soi n’a rien à voir avec se rabaisser. C’est une manière pour les êtres humains de reconnaître l’erreur ou la maladresse sans s’identifier complètement à elle.
Dans les recherches en psychologie positive, on distingue d’ailleurs un humour « auto-détruisant », où l’on se moque de soi pour se dévaloriser, d’une auto-dérision bienveillante, où l’on garde une estime de soi intacte, mais on accepte de ne pas tout maîtriser.
Cette auto-dérision « positive » apporte :
- Une meilleure régulation du stress : en riant de soi, on libère des tensions émotionnelles et on réduit la charge cognitive associée à la peur de l’échec.
- Une + grande capacité d’adaptation : l’humour aide à voir les événements sous un autre angle, à transformer une problématique en apprentissage.
- Une meilleure cohésion de groupe : un coach capable de sourire de ses propres difficultés crée un climat où les erreurs ne sont plus vécues comme des menaces, mais comme des étapes du progrès.
Les neurosciences confirment d’ailleurs que le rire engage des circuits cérébraux de récompense et de régulation émotionnelle : il favorise la production d’endorphines et d’ocytocine, réduisant la vigilance défensive et renforçant la confiance.
Mais + intéressant encore, une étude utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a examiné les corrélats neuronaux de l’appréciation de différents styles d’humour (humour dirigé vers soi vs vers autrui). On a observé que pour l’auto-dérision, la zone du pôle temporal était + engagée, et pour l’humour dirigé vers les autres, la jonction temporo-pariétale-frontale l’était davantage. Cela montre que l’humour dirigé vers soi engage des circuits de réflexion sociale sur soi-même, ce qui est cohérent avec l’idée de « prise de recul ».
Quand l’auto-dérision disparaît : un signal à écouter
Dans les périodes d’intense pression, il est fréquent de voir l’humour s’effacer, d’abord subtilement, puis finalement entièrement. C’est souvent le signal de surcharge mentale. Quand on n’a plus l’énergie de relativiser, que tout devient grave ou urgent, que la moindre remarque semble une attaque, le mental n’a + la place pour la prise de distance avec ce que je vis.
Et cela a des conséquences !
Chez un coach, cette perte d’auto-dérision peut se traduire par :
- Une perte de flexibilité mentale et émotionnelle. Cette rigidité est typique d’un état de stress chronique ou de fatigue émotionnelle : le cerveau, sous pression, se met en mode défensif et perd la souplesse. Le coach devient moins adaptable, + réactif, moins créatif dans ses solutions ou dans sa communication.
- Un glissement vers le contrôle ++ et la sur-exigence. Quand le coach ne rit plus de lui-même, il cherche souvent à compenser par une maîtrise accrue de l’environnement : tout doit être cadré, précis, exécuté comme prévu. Cela se traduit par une tolérance réduite à l’erreur, chez lui comme chez les autres, un perfectionnisme qui peut freiner la spontanéité de l’équipe, des réactions plus dures face aux imprévus ou aux maladresses des joueurs.
- Une posture émotionnelle défensive. Quand le coach perd son humour, il perd avec souvent une partie de son « autoprotection » naturelle face au stress. Le rire agit physiologiquement comme une soupape : il réduit le cortisol, stimule la respiration, relâche les muscles…
Sans cet exutoire, le stress s’accumule et le coach entre dans une posture défensive. On observe alors + de réactivité émotionnelle (colère, irritation, impatience), une moins bonne écoute, des prises de parole + tranchées, parfois + autoritaires. - Une fatigue identitaire. Chez certains coachs, la perte d’auto-dérision révèle une fatigue + profonde, liée à l’identité. Cela peut mener à un épuisement émotionnel (plus de recul, « je suis vidé »), un désinvestissement relationnel, voire à une forme de désenchantement professionnel (« je ne me reconnais plus dans ma manière de coache »). Dans la littérature sur le burnout sportif, cette perte de légèreté et d’humour est d’ailleurs considérée comme un symptôme précoce.
On se rend compte finalement que l’auto-dérision, et l’humour + généralement, est une véritable stratégie de régulation cognitive. C’est une manière de réaligner son énergie et de rétablir une perspective + saine.
Perdre sa capacité à rire de soi, c’est souvent perdre un peu de recul et un signal qu’il est temps de faire quelque chose.
Reconnaître ce signal, c’est déjà commencer à en sortir. L’humour ne se décrète pas : il revient quand on retrouve du souffle. Quelques pistes :
- Alléger la charge cognitive : accepter que tout ne dépend pas de soi,
- Prendre des temps de pause pour soi, même courts, qui invitent à retrouver un peu de distance,
- Partager et travailler régulièrement avec un professionnel.
Image : « Le Chat » de Philippe Geluck