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par | 28 septembre 2025

Quand l’intuition trompe l’entraîneur : l’histoire d’un joueur écarté trop vite

Imaginez : un joueur se présente, motivé à rejoindre votre équipe. Sur le papier, il a de grandes qualités, il est même le meilleur du moment à son poste. Mais vous, vous avez un doute. Vous avez entendu dire certaines choses qui vous donnent une mauvaise impression. Vous décidez de ne pas le retenir. La saison suivante il performe encore plus… mais dans l’équipe directement adverse. Et vous regrettez.

Derrière ce type de décision, il y a souvent moins une question de compétence que des biais cognitifs qui s’invitent. En avoir conscience permet de mettre en œuvre des stratégies pour les déjouer.

 

L’omniprésent biais de confirmation : chercher ce qui conforte mes croyances

Vous pensez qu’un joueur « n’est pas assez sérieux » ? Alors vous irez inconsciemment chercher des indices qui confirment cette hypothèse (une remarque de coéquipier, un détail d’attitude, une rumeur), et ignorerez les signaux contraires (son travail à l’entraînement, ses progrès récents).
Daniel Kahneman, psychologue et professeur à l’université de Princeton, a largement montré à quel point notre cerveau préfère confirmer ce qu’il croit déjà plutôt que remettre en question ses jugements.

On pourrait citer d’autres biais dans l’exemple que je donne :

  • L’ancrage : la première impression (un mauvais match, une attitude perçue comme désinvolte) influence toute l’évaluation future du joueur.
  • Le biais de disponibilité : on se souvient + facilement d’un moment où il a raté une action que de ses réussites discrètes mais régulières.
  • L’effet de halo (ou de corne) : si on n’apprécie pas un trait de personnalité du joueur, cela « contamine » notre jugement sur ses compétences sportives.

Pourquoi c’est dangereux ?

Un biais cognitif est, en quelque sorte, un raccourci mental. Notre cerveau cherche en permanence à traiter rapidement une masse d’informations complexes. Je l’ai déjà développé dans un article (« Gros plan sur les biais cognitifs ») que je vous invite à lire.

Si le biais est une erreur systématique, le « noise » développé par Kahneman est l’erreur aléatoire. Elle est issue des différences individuelles (style de jugement, préférences), des variations selon l’humeur ou le contexte (“occasion noise” : selon l’heure, l’état d’esprit…), les différences dans la façon d’interpréter les mêmes informations (“pattern noise”), ou les fluctuations internes (fatigue, distractions).

On voit bien que cela signifie que le jugement n’est jamais neutre : par exemple ce que l’on voit d’un joueur ou d’une situation est déjà filtré par nos croyances, nos expériences passées, mais aussi notre état émotionnel du moment, le moment de la journée, …

Alors comment limiter l’impact des biais ?

La clé n’est pas de croire qu’on peut les éliminer (c’est impossible), mais plutôt d’en avoir conscience et de mettre en place des stratégies de régulation et de réflexion :

  • Formaliser les critères de décision : par exemple, définir un barème précis pour évaluer la performance d’un joueur plutôt que de se fier à une impression générale.
  • Multiplier les points de vue : confronter ses choix avec ceux de son staff, ou avec un collègue extérieur, pour réduire l’effet du « bruit » dont parle Kahneman.
  • Tenir un journal de décisions : noter les raisons d’un choix à un instant t, puis les confronter avec les résultats à posteriori. Cette méthode aide à détecter les écarts entre l’intention et la réalité.

Mais aussi :

  • Prendre du recul par un travail réflexif : c’est là qu’intervient l’analyse de pratique. Dans l’espace de supervision que j’offre, l’entraineur peut revisiter ses décisions, comprendre quels biais ont joué, identifier les automatismes et élargir son cadre de pensée. Cela permet de voir ce qu’on n’arrive pas à voir seul, d’apprendre à décoder ses propres mécanismes de jugement, et, à terme, d’installer des routines décisionnelles plus solides et plus justes.

 

Les biais cognitifs et le « noise » ne sont pas des exceptions : ils sont présents dans toutes nos décisions, même (et surtout) quand nous pensons être « objectifs ». Le véritable enjeu pour un entraîneur n’est pas seulement de réagir lorsqu’une décision tourne mal, mais de développer une hygiène de décision régulière.

Travailler sur soi, interroger ses réflexes, confronter ses choix, c’est comme entraîner ses joueurs : ce n’est pas réservé aux moments de crise, c’est un travail de fond qui construit la qualité et la cohérence de l’action au quotidien.