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par | 16 novembre 2025

Trahison / Loyauté : ce qui fait ou défait un staff performant

Dans la vie d’un entraîneur, il y a des blessures qui laissent des traces. La trahison d’un proche collab en fait partie. Un assistant qui vous plante un couteau dans le dos, un président qui ne tient pas son engagement, … Autant de moments où l’on ressent une déchirure : la confiance donnée n’a pas été respectée. Et c’est souvent moins l’acte en lui-même qui heurte, que le sentiment d’avoir été dupé, d’avoir mal jugé, d’avoir pas vu venir.

Cette semaine, mon actu m’invite à parler de loyauté. Ou de trahison. Ou plutôt des deux …

Car dans le sport de haut niveau, sans confiance, aucune performance durable n’est possible.

 

La trahison n’est pas seulement une erreur de comportement : c’est une rupture de lien. Elle fragilise la structure invisible sur laquelle repose toute équipe : la loyauté.

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik parle de la confiance comme d’un tissu vivant, souple, mais fragile.
Elle se construit lentement, à travers les gestes, la parole tenue, la cohérence. Et quand elle se déchire, ça fait mal.

Le psychologue Paul Ekman, spécialiste des émotions, quant à lui, explique que la trahison déclenche un mélange de colère, de honte et de tristesse, car elle bouscule notre image de nous-mêmes : nous nous pensions lucides, et nous découvrons notre naïveté. C’est une blessure d’autant + profonde qu’elle touche à la reconnaissance, celle d’avoir cru en quelqu’un, d’avoir partagé un projet sincèrement.

Dans le sport, la loyauté n’est pas une option. C’est une condition de performance.

Une équipe peut survivre à la défaite, mais difficilement au soupçon, à la défiance.

La chercheuse Amy Edmondson (Harvard) parle de sécurité psychologique (psychological safety) : c’est ce climat où chacun se sent libre d’exprimer une idée, de signaler un problème, de contester une décision, sans peur d’être jugé ou exclu.

Les staffs les + performants ne sont pas ceux où tout le monde dit « oui », mais ceux où le désaccord est possible dans le respect. Autrement dit : la loyauté ne consiste pas à tout accepter, mais à rester fidèle à un projet commun, même dans la confrontation.

Bien s’entourer, pour un entraîneur, c’est donc choisir des personnes capables de loyauté dans la tempête.
Et je crois que cela suppose de poser dès le départ un cadre clair : nos valeurs. Comment nous voulons travailler. Ce que nous attendons les uns des autres. Alors certes, un cadre partagé n’empêche pas la trahison, mais il réduit les zones de flou. Et surtout, il permet de réagir + sereinement quand une sortie de route survient.

Il existe souvent des signaux faibles avant la trahison et qui doivent alerter. La trahison n’arrive jamais vraiment brutalement. Avant le geste ou la rupture ouverte, il y a souvent des signaux faibles : des micro-comportements, des dissonances dans la parole ou l’attitude, qui indiquent qu’un décrochage de loyauté est en train de s’opérer. Apprendre à les percevoir (sans tomber dans la paranoïa) est une compétence essentielle du leadership.

Parmi ces signaux, on retrouve souvent :

  • Le retrait progressif : un collaborateur jusque-là investi devient + distant, moins présent dans les échanges informels, moins engagé émotionnellement.
  • Le double discours : ce qui est dit en réunion diffère de ce qui est relayé à d’autres membres du staff ou de l’équipe, ou pire, de la gouvernance.
  • La perte de transparence : on perçoit que certaines infos sont cachées ou partagées avec un filtre.
  • La remise en question silencieuse : les désaccords ne sont plus exprimés ouvertement, mais traduits en passivité, en micro-contestations, ou en ironie.
  • L’effritement de la confiance émotionnelle : on sent que la relation n’a plus la même chaleur, qu’« il se passe un truc ».

Le danger, c’est de vouloir ignorer ces signaux ou de les minimiser, souvent par manque d’énergie ou de temps à y consacrer. Mais la technique de l’autruche a ses limites …

La loyauté, comme tout lien humain, se nourrit de dialogue et de clarification.

Quand quelque chose semble se décaler, il est important d’ouvrir la conversation, non pas pour accuser, mais pour comprendre, et rétablir du sens et du lien. Un échange sincère, à ce stade, peut suffire à éviter une rupture + profonde.

Et si le cadre a été fixé dès le départ, c’est très facile à faire.

Une trahison ça secoue. Il est important de prendre le temps de l’avaler, de poser les choses, et puis faire le tri. Car le coach a besoin d’avancer. Un tiers professionnel peut aider à accélérer le processus.

Souvent la tentation est dangereuse : « Je ne ferai plus confiance à personne. » Et c’est bien évidemment impossible.

La philosophe Hannah Arendt écrivait : « La confiance est ce qui rend possible la promesse ». J’aime bien cette pensée. La confiance c’est elle qui permet de continuer à construire, malgré la déception.

Dans une équipe, cela se traduit par une posture :

  • Ne pas nier la trahison, ne pas la taire, au contraire : la nommer clairement.
  • Ne pas généraliser : une personne peut trahir sans que tout le monde soit corrompu.
  • Ne pas s’enfermer dans la rancune : elle coupe du réel et empêche le discernement.

La résilience, telle que la définit Cyrulnik, ne consiste pas à oublier, mais à donner un sens à l’épreuve.
Un leader résilient ne devient pas méfiant : il devient + attentif, + conscient de ce qui fonde réellement SA confiance.

Je crois finalement que la confiance n’est pas une récompense, c’est un choix stratégique.
Et c’est ce choix répété, malgré les difficultés, qui fait les grands leaders.

 

La loyauté est le moteur invisible de la performance. Ce n’est pas une émotion, c’est une compétence relationnelle. Elle se nourrit de cohérence, de parole tenue, d’écoute réciproque.

La trahison, elle, rappelle que la confiance n’est jamais acquise. Elle demande une vigilance, une conscience de l’humain derrière la fonction.

Car dans une équipe, ce qui fait la cohésion, ce n’est pas la technique, ni le talent : c’est la qualité du lien.

 

Illustration : « Trahison Entre Amis » peinture par Romuald Canas Chico